Prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage : Deux syndicats portent plainte contre la Poste
En Île-de-France, 75% de la livraison de colis est sous-traitée selon les syndicats de la Poste. Deux d’entre eux, Sud et la CGT portent plainte contre la Poste pour prêt illicite de main d’oeuvre et marchandage.
S'appuyant sur des contrôles de l'inspection du travail, les deux formations estiment que l'entreprise fait massivement appel à des sociétés externes en région parisienne. Une pratique jugée illégale par la CGT.
SUD PTT a porté plainte le 23 octobre pour relancer une procédure pour des faits datant de 2012 concernant une agence Coliposte située dans le 15e arrondissement de Paris, a précisé son avocat, Julien Pignon, confirmant des informations de Mediapart et France Info.
Le pôle financier chargé d’enquêter sur l’utilisation abusive de sous-traitants dans cette agence suite à un contrôle de l’Inspection du Travail, avait demandé un complément d’enquête en juin 2016, a précisé Me Pignon.
La CGT a également déposé plainte le 30 octobre pour les mêmes griefs, a précisé son avocat, Richard Forget. Il cite plusieurs "courriers" de l’Inspection du Travail épinglant le recours par La Poste à des entreprises sous-traitantes dans ses agences Coliposte d’Ile-de-France en 2016 et 2017.
"Il faut que la société sous-traitante ait une particularité, qu'elle fasse une activité que vous n'êtes pas capable de faire en interne", a expliqué l'avocat du syndicat, Richard Forget, à France Info. "Ce n'est absolument pas le cas à La Poste."
Selon les deux syndicats, la grande majorité des colis de La Poste sont livrés par des sous-traitants en région parisienne. D'après les chiffres, le pourcentage de colis distribués par des sous-traitants ne cesse d'augmenter en Ile-de-France. De 71% en 2012, il a atteint plus de 75%, en moyenne, trois ans plus tard.
En 2017, d'après Thierry Lagoutte du syndicat Sud, ce chiffre atteint presque 100% dans les quartiers sensibles de la région parisienne. "Si on regarde sur une année, les collègues qui se font braquer le plus leur camionnette, qui sont victimes d'une agression, sont des collègues sous-traitants", rapporte Thierry Lagoutte.
La Poste affirme, pour sa part, qu'elle n'a pas connaissance de ces deux plaintes. Sur la question générale de la sous-traitance, l'entreprise rappelle qu'elle est le premier employeur de France après l'État et y recourt "de manière stable et limitée et dans des proportions d'ailleurs moindres que ses concurrents", indique France Info.
Il aura fallu un drame pour que la pratique soit mise en lumière. Le 15 décembre 2012, un livreur de colis sous-traitant de la Poste avait perdu la vie. Lors d’une livraison mi-décembre, période de l’année ou l’afflux de colis est énorme à cause des fêtes de fin d’année, Seydou Bagaga, âgé de 35 ans, de nationalité malienne, marié et père d’un bébé de 11 mois, avait 150 colis à livrer dans la journée.
Lors d’une livraison sur une péniche, il fait tomber un colis à l’eau. Craignant les répercussions, il décide d’aller le récupérer, malgré le fait qu’il ne sache pas nager. Les pompiers ont récupéré son corps peu après, en vie, mais inconscient. Dans le coma depuis sa noyade, il meurt à l’hôpital le 8 janvier 2013.
Dès lors, une enquête est ouverte et, en avril 2013, l'inspection du travail conclut dans un rapport sans ambiguïté que "la victime n'avait pas été déclarée par son employeur, DNC Transport, et que le donneur d'ordre de cette dernière, Coliposte, ne pouvait ignorer cette situation".
Des dizaines d'auditions, de constatations et trois juges d'instruction plus tard, l'enquête touche aujourd'hui à sa fin. Deux personnes physiques sont mises en examen :
Le dirigeant de DNC Transport pour prêt de main-d'oeuvre illicite, marchandage et homicide involontaire, et le directeur du centre Coliposte d'Issy-les-Moulineaux (où Seydou Bagaga a récupéré ce matin-là quelque 150 colis à distribuer) pour marchandage et prêt de main-d'oeuvre illicite.
Surtout, et c'est la première fois concernant sa filiale Coliposte, l'entreprise la Poste est également mise en cause en tant que personne morale pour prêt de main-d'oeuvre illicite. Fin novembre, la justice devra dire si un procès aura lieu et si elle renvoie la Poste et/ou les deux personnes mises en examen devant un tribunal correctionnel.