Polémique autour de la mode islamique
"La mode islamiqe" s'inscrit dans une tendance plus vaste appelée "mode pudique", traduction de l'anglais "modest fashion".
"Il n'y a pas de règles dans la mode." Le message, signé H&M, a été lancé dans une récente pub mondiale du géant suédois pour le recyclage des vêtements. Pour la première fois, à l’injonction "soyez chic", apparaît une jeune femme musulmane dont les cheveux et le cou sont recouverts d’un foulard.
"Nos collections permettent à chacun d’habiller sa personnalité mais n’encouragent pas un choix de mode de vie en particulier", esquive la marque populaire.
H&M est loin d’être la seule enseigne à lorgner sur ce marché de la mode. Après la firme japonaise Uniqlo qui a annoncé la mise en vente de hidjabs (voiles islamiques) dans son magasin de Londres, c’est à Marks & Spencer de se jeter à l’eau. Des maillots de bain couvrant l’intégralité du corps de la femme, excepté le visage, les mains et les pieds, sont désormais proposés par la chaîne de magasins britannique.
Pour 62,95 €, vous pouvez commander sur son site un burkini, forme contractée de "burqa" et de "bikini", noir ou bleu fleuri. Un signe d’ouverture, a fait savoir la marque, qui n’a pas empêché les réactions indignées de se propager sur Internet.
On a assisté cette semaine à une véritable levée de boucliers contre Marks and Spencer mais aussi Uniqlo, Dolce&Gabbana, Mango ou encore Tommy Hilfiger. Ces marques qui se lancent sur le créneau de la "mode islamique" seraient "irresponsables" de l'avis de la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol. Le 30 mars, Pierre Bergé s'est lui aussi insurgé, "scandalisé" par "ces créateurs qui participent à l'asservissement de la femme".
Pierre Bergé, compagnon d'Yves Saint Laurent et président de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, a lancé à ces marques : "Renoncez au fric, ayez des convictions !" "Je suis scandalisé. Moi qui ai été près de 40 ans au côté de Yves Saint Laurent, j'ai toujours cru qu'un créateur de mode était là pour embellir les femmes, pour leur donner la liberté, pas pour être le complice de cette dictature qui impose cette chose abominable que fait qu'on cache les femmes, qu'on leur fait vivre une vie dissimulée", a-t-il dit sur Europe 1.
La Clef (Coordination française pour le lobby européen des femmes), qui regroupe une cinquantaine d'associations féministes, s'est réjouie dans une lettre ouverte que la ministre des Droits des femmes ait "réagi avec force et indignation face à la banalisation du port du voile islamique". Dans un communiqué, la présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), Danielle Bousquet, a pour sa part souligné le "courage dont fait preuve dans ce débat" Mme Rossignol. Elle "a eu raison de dénoncer l'irresponsabilité des grandes marques qui, au nom du profit, n'hésitent pas à reprendre à leur compte une stratégie fondamentaliste politico-religieuse", a-t-elle estimé.
Dans un entretien publié à l'AFP, Elisabeth Badinter a remis une couche. Elle juge que "pour ce qui regarde (ces) marques vestimentaires qui veulent vendre la tenue islamique, il n'y a qu'une seule réponse: le boycott". Elle considère en outre qu'on ne peut pas se dire féministe et défendre le port du voile.
Les "dites "féministes islamiques", elles oublient qu'en guise d'égalité elles doivent rester à la maison, que l'héritage est divisé par deux dans les pays musulmans et la polygamie admise dans le Coran dont elles se réclament", estime la philosophe.
Pour les femmes musulmanes, il s'agit notamment de s'éloigner de l'abaya, tunique large et simple ne laissant voir que le visage, souvent noire, portée par-dessus les vêtements et imposée aux femmes en Arabie saoudite. Plus répandu dans le monde, le hijab, simple voile islamique couvrant les cheveux et les épaules, devient également un véritable accessoire que les femmes peuvent assortir à leur tenue.
Ce style "pudique" s'applique aussi aux vêtements de bain, depuis qu'une créatrice australienne a dessiné et commercialisé en 2007 un "burkini", maillot de bain couvrant l'ensemble du corps sauf les mains, les pieds et le visage. Aux yeux des musulmans intégristes, toutes ces tenues non traditionnelles restent indécentes.
Poussés par la multiplication de blogs consacrés à cette mode pudique, les créateurs comprennent donc, tardivement, que les femmes musulmanes aussi achètent des vêtements. Et si beaucoup d'entre elles s'en réjouissent, l'auteure Ruqaiya Haris, qui porte elle-même le hijab, pose un regard "plus cynique" sur la chose.
Dans une tribune publiée en janvier sur le Guardian (en anglais), elle rappelle que "les ventes de produits de luxe ont atteint 8,7 milliards de dollars au Moyen-Orient l'année dernière et les musulmans ont dépensé 266 milliards de dollars dans ces produits à travers le monde en 2013". Des chiffres qui, selon elle, aident à comprendre "ce qui motive réellement ces marques".
La population musulmane serait donc surtout une "nouvelle cible pour des marques de luxe qui stagnent de plus en plus et sont en manque de relais de croissance", explique Frédéric Godart, sociologue et auteur de Sociologie de la mode, à Libération.
En France, la question du port du voile islamique provoque en effet régulièrement des crispations. Le sujet divise particulièrement les féministes. D'un côté, celles qui défendent le droit des femmes à porter ce qu'elles veulent et à exercer librement leur spiritualité, et donc à porter un voile, quel que soit son sens. De l'autre, celles qui, comme la ministre, y voient un symbole du "contrôle social du corps des femmes".
Plus généralement, le port du hijab est régulièrement associé au fondamentalisme, voire au terrorisme, comme l'a montré récemment une caricature de Plantu qui a provoqué la colère de nombreux internautes.
Sur sa chaîne YouTube, la blogueuse voilée Asma Fares, qui publie des conseils beauté et lifestyle (maquillage, nutrition, mode, épilation…) reçoit régulièrement des commentaires insultants, aussi bien de la part d'internautes islamophobes dénonçant le port du voile que de musulmans radicaux qui lui "souhaitent l'enfer", jugeant qu'elle est un mauvais exemple pour les jeunes musulmanes.
Des voix musulmanes se sont étonnées de ce débat. Abdallah Zekri, président de l'Observatoire contre l'islamophobie et secrétaire général du Conseil français du culte musulman, s'est demandé : "Est-ce que la France n'a pas d'autre souci, alors qu'elle combat le terrorisme, que de stigmatiser les femmes musulmanes ? Est-ce qu'un ministre a le droit de s'ingérer dans la manière dont une femme souhaite s'habiller, dans la mesure où elle respecte les lois de la République et qu'elle ne cache pas son visage ?"
Le blogueur musulman "orthodoxe" Fateh Kimouche, spécialiste de l'économie islamique, demande un peu de "pragmatisme". Selon lui ces articles "répondent tout simplement à un marché, y'a pas de gros barbu derrière. Il y a des milliers d'emplois à la clé".
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes voilées ont également interpellé la ministre, peinées par cette polémique. Beaucoup lui ont rappelé qu'elles avaient elles-mêmes choisi de porter le voile, sans aucune obligation d'un tiers.
Cette tendance ne fait pourtant pas autant de vagues outre-Manche où les arguments des partisans de la mode musulmane ont plus d'écho.
En Angleterre où le burkini sera vendu par Marks and Spencer, le débat n'est pas aussi vif remarque le Telegraph qui rapporte que la polémique française a même fait réagir les politiques. Dans les colonnes de ce même journal, quelques jours plus tôt,la journaliste Allison Pearson, avait pourtant écrit un article dénonçant vivement "cette mauvaise nouvelle" qu'elle voyait comme "une tentative pour normaliser le traitement du corps de la femme comme étant quelque chose qu'on devrait cacher. [...] Le burkini dit haut et fort 'je ne dois pas être une source de tentation. C'est de ma faute si un homme a envie de moi ou s'il me viole'."
"En Grande-Bretagne comme aux États-Unis, cette mode-là ne choque pas autant qu'en France", remarque Hanna Woodhead, doctorante à la faculté de théologie de Genève qui travaille sur la mode religieuse et en particulier sur la notion de pudeur depuis deux ans. Elle cite ainsi en exemple les fonctionnaires musulmanes de la police londonienne dont la tenue comprend un voile, comme celle de leurs confrères sikh, un turban. En France, dans le pays de la laïcité républicaine, les fonctionnaires sont tenus à la neutralité.
Les adeptes de cette mode qui couvre plus qu'elle ne dévoile sont convaincues que la vraie beauté est faite de couches de vêtements. Certaines comme la créatrice américaine Nzinga Knight n'hésitent pas à aller plus loin en affirmant que s'habiller ainsi est un signe de liberté, une liberté que les femmes dans les sociétés occidentales auraient perdu.
C'est quoi la "mode islamique" qui choque la ministre Laurence Rossignol ?
Camille Caldini La ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a dénoncé, mercredi 30 mars sur BFM TV, les marques comme H&M, Uniqlo ou Dolce & Gabbana qui lancent tour à tour des ...