Affaire Legay : le procureur de Nice a menti pour protéger Emmanuel Macron
Pour éviter d’embarrasser le président de la République, le procureur de Nice Jean-Michel Prêtre dit avoir dédouané les forces de l’ordre mises en cause pour la grave blessure à la tête de Geneviève Legay, retraitée de 73 ans, membre de l'association Attac, le 23 mars à Nice dans une manifestation interdite de "gilets jaunes". La militante a été projetée au sol lors d’une charge de la police.
Deux jours plus tard, Emmanuel Macron interrogé sur ce grave incident, affirme que la victime "n'a pas été en contact" avec des policiers. Et d'ajouter, "Je souhaite d'abord qu'elle se rétablisse au plus vite et sorte rapidement de l'hôpital, et je souhaite la quiétude à sa famille. Mais pour avoir la quiétude, il faut avoir un comportement responsable"
"Quand on est fragile, qu'on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci."
Ces propos avaient aussitôt déclenché une vive polémique, dans la mesure où cette manifestation, quoi qu'interdite, était restée pacifique.
Cette version erronée des faits avait été soutenue par Jean-Michel Prêtre, dans une conférence de presse. Il a assuré qu’il n’y avait eu "aucun contact" entre Geneviève Legay et les policiers.
Et sur la base des vidéos et des témoignages dont il dispose, il affiche deux certitudes : certes la militante d’Attac, victime d’un traumatisme crânien, n’est pas tombée "toute seule". Mais : "Ce dont on est sûr aussi, c’est qu’elle n’a pas été touchée par les forces de sécurité", a-t-il ajouté. Il a évoqué un "cameraman", une autre manifestante et une personne "avec une casquette marron", qui auraient pu faire chuter madame Legay.
Confronté à la publication de nouvelles images de la scène par plusieurs médias, le magistrat avait été contraint de se dédire totalement et de confier l’enquête à un juge d’instruction.
Cette communication mensongère de Jean-Michel Prêtre était d’autant plus surprenante que le magistrat était aux premières loges au moment de la charge. Le procureur était présent dans la salle de commandement, derrière les nombreux écrans de surveillance, comme l’avait révélé Mediapart.
Jean-Michel Prêtre avait donc été témoin d’une part de l’action des policiers, mais aussi du refus des gendarmes d’utiliser la force face à la foule calme. Ces derniers avaient expliqué que cet ordre était "disproportionné".
Entendu le 16 avril par le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Robert Gelli, le procureur de Nice a déclaré qu’il avait dédouané les policiers pour éviter "des divergences trop importantes" entre sa version et celle d’Emmanuel Macron.
Un compte rendu de cet entretien a été envoyé à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. "Nous avons estimé, sur la base de ce rapport, qu’il n’y avait pas lieu à poursuites disciplinaires", explique à Libération le ministère de la Justice.
Le Syndicat de la magistrature (SM), a dénoncé dans un communiqué "l’hypocrisie de cette position, alors que le statut du parquet et la pratique du pouvoir sont délibérément conçus afin d’encourager, sous la surface de garanties d’indépendance formelles, une allégeance spontanée des procureurs envers l’exécutif".
Le parquet selon l'exécutif : "en ligne et à l'aise" avec le pouvoir, mais "indépendant" quand ça dérape.
— SMagistrature (@SMagistrature) 24 juillet 2019
Notre communiqué de presse en réaction aux révélations de @lemondefr sur les conditions du traitement de l'"Affaire Geneviève Legay".https://t.co/1ODny9hfgd pic.twitter.com/kTVWUxXqbH
"Ce procureur est le symbole malsain de la dépendance de la justice à l’exécutif", tacle de son côté l’avocat de la militante d’Attac, Arié Alimi, qui vient de saisir le Conseil supérieur de la magistrature de cette affaire.
À la tête du parquet de Nice depuis février 2015, Jean-Michel Prêtre avait déjà par le passé fait preuve d’une certaine complaisance vis-à-vis des autorités.
Le 16 juin, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a décoré plusieurs policiers de la médaille de la sécurité intérieure, pour leur "engagement exceptionnel dans le cadre des 'gilets jaunes'". Plus de 9. 000 personnes ont reçu la médaille. Mais parmi ces médaillés, au moins cinq agents sont impliqués dans des enquêtes concernant des violences policières.
Dans la liste des médaillé figure ainsi Rabah Souchi, chargé des opérations de maintien de l'ordre, samedi 23 mars à Nice, au cours desquelles la militante Geneviève Legay a été projetée au sol, grièvement blessée à la tête. La compagne du policier, Hélène Pedoya, chargée de l’enquête sur les violences commises ce jour-là, a également été décorée.
Sur LCI, Le député LFI Éric Coquerel a dénoncé jeudi 25 juillet, l'attitude selon lui "pas acceptable" du procureur de Nice.
📺 « Il n’est pas acceptable qu’un procureur explique avoir menti pour se conformer à la version du Président de la République ! Dans quel monde vit-on ? Le pouvoir utilise la police et la justice pour limiter les oppositions sociales et politiques ! » @LCI
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) 25 juillet 2019
"Ç'est un symbole de la dépendance malsaine de la justice vis-à-vis du politique, en tout cas des procureurs. Ça fait un bout de temps malheureusement qu'on dénonce ça", a-t-il accusé.
Le député de Seine-Saint-Denis a également mis en garde contre "un moment de notre histoire où la répression, où l'utilisation de violences policières par le politique pose un vrai problème", estimant "qu'on évolue vers un régime autoritaire, c'est-à-dire un régime qui utilise la justice et la police pour se maintenir".
Il a appelé à interroger "toute la chaîne de commandement" et a réclamé une nouvelle fois la démission du ministre de l'Intérieur Christophe Castaner "pas seulement sur l'affaire Legay mais sur une accumulation de violences qu'il a cautionnée".