Petite inconnue de l'A10 : les parents identifiés et mis en examen pour meurtre 31 ans après
Près de 31 ans après la découverte du corps sans vie d'une petite fille en bordure de l'autoroute A10, ses parents ont enfin été identifiés et interpellés. Ils ont été placés en garde à vue, mardi 12 juin et présentés au juge d'instruction de Blois (Loir-et-Cher), jeudi. Ils vivaient séparés, l'un dans l'Aisne et l'autre dans les Hauts-de-Seine.
L'enquête a été relancée fin 2016 après l'arrestation du frère de l'enfant. Ses empreintes génétiques ont été comparées au fichier national (FNAEG), une correspondance a été révélée avec des traces ADN sur les vêtements et la couverture dans laquelle était enveloppé le corps de l’enfant lors de sa découverte.
Après étude du dossier administratif de la famille, les enquêteurs se sont aperçus qu'une petite fille qui apparaissait dans les demandes d'allocation familiale de cette famille nombreuse n'y figurait plus.
Les enquêteurs ont pu ainsi identifier et retrouver la trace des parents, un couple de sexagénaires, originaires du Maroc et qui ont eu sept enfants.
Le 11 août 1987, des agents d'entretien de l'autoroute avaient découvert la dépouille de la fillette entourée d'une couverture, dans un fossé. Vêtu d'un short et d'un tee-shirt, son corps portait de très nombreuses traces de violences. Personne n'a jamais signalé la disparition de cette enfant, et toutes les tentatives menées pour l'identifier n'avaient rien donné pendant toutes ces années. Un nouvel appel à témoins avait été lancé par la justice en 2012.
Le père, Ahmed Touloub, 66 ans, a été écroué, et la mère, Halima, 64 ans, comparaissait encore jeudi en début de soirée devant le juge des libertés et de la détention, a expliqué le procureur de la République de Blois, Frédéric Chevallier, lors d’une conférence de presse conjointe avec le colonel Thomas Andreu, commandant de la section de recherche de la gendarmerie d’Orléans.
"Inass Touloub a retrouvé un prénom et un nom", a confirmé Frédéric Chevallier, le procureur de la République.
Après leur placement en garde à vue mardi, les parents ont été mis en examen pour meurtre, recel de cadavre, violences habituelles sur mineur de moins de 15 ans.
Selon le procureur de la République, aucun des parents n’aurait reconnu être l’auteur des violences. Le père a expliqué d’un côté qu’il "a vécu un enfer avec son épouse, que celle-ci était violente à son égard comme à l’égard des trois filles, qu’il vivait sous la domination de sa femme, qu’un jour il est rentré chez lui et a trouvé le corps de sa fille".
Elle sera finalement abandonnée le long de l'A10 dans un geste "lâche", comme l’a admis le père qui dit ressentir aujourd’hui du "soulagement".
La mère, de l’autre côté, défend la même explication. Dans un premier temps en garde à vue elle a affirmé "ne plus avoir de souvenir, que sa fille n’était pas décédée." Puis devant le juge, elle a expliqué qu’elle était "elle-même victime de violences de la part de son époux, qu’elle pouvait être violente à l’égard d’Inass mais qu’elle n’était pas impliquée dans la mort de cette dernière", a détaillé le procureur de la République.
"Cette enquête a traversé les générations d’enquêteurs. Elle appartenait à la mémoire de l’unité. Nous avions une obligation morale d’aboutir", confie le colonel Marc de Tarlé, ancien patron de la SR d’Orléans, aujourd’hui sous-directeur adjoint de la police judiciaire à la gendarmerie.
Le procureur de Blois a insisté : "Le temps n’a jamais couru contre nous."
La petite martyre de l'autoroute A10 a désormais un nom, retour sur plus de 30 ans d'enquête#Inass #justice #Suèvres #LoirEtCher #A10 pic.twitter.com/QQI8RQKQCg
— France 3 Centre-VdL (@F3Centre) 15 juin 2018
À l'époque de la découverte de la fillette, la gendarmerie avait lancé la plus grande diffusion judiciaire jamais entreprise en France. Près de 66.000 écoles avaient été visitées à la rentrée scolaire, et 6.000 médecins ou assistantes maternelles avaient été rencontrés pour essayer de donner un nom à la jeune victime. Les 30.000 mairies affichent le portrait retouché de l'enfant.
Le signalement de la fillette avait été diffusé dans plus de 30 pays et sa photographie placardée dans tous les endroits publics : elle mesurait 0,95 mètre, avait les cheveux bruns bouclés et les yeux marron foncé.
Une ordonnance de non-lieu avait été rendue en octobre 1997, après des recherches infructueuses, laissant cette affaire non résolue.
Le procureur de l'époque Etienne Daures disait pourtant avoir "bon espoir de pouvoir donner un nom" à la fillette, enterrée anonymement au cimetière de Suèvres dans le Loir-et-Cher.
La tombe de la fillette était régulièrement fleurie par les habitants de la commune où elle repose.