TES : 60 millions de Français désormais fichés dans une même base de données

Publié le 6 Novembre 2016

TES : 60 millions de Français désormais fichés dans une même base de données

Le gouvernement a créé dimanche 30 octobre le controversé fichier des "Titres électroniques sécurisés" (TES). Une base de données, qui centralisera les informations de 60 millions de titulaires de carte d’identité et de passeports.

Le texte est passé presque inaperçu. En plein week-end de la Toussaint, un décret publié dimanche au Journal Officiel a autorisé la création d'un gigantesque fichier informatique baptisé TES.

Ce fichier vise à centraliser toutes les informations issues des cartes d’identité et des passeports. Le nom, le prénom, la couleur des yeux, l’adresse, la taille, la filiation parentale, l’image numérisée du visage, ainsi que deux empreintes digitales de la quasi-totalité de la population française (tous les citoyens de plus de 12 ans) vont se retrouver dans une unique base de données à disposition des autorités. Les informations pourront être conservées entre 15 ans pour les passeports et 20 ans pour les cartes d’identité.

Le fichier pourra être consulté en premier lieu par les agents chargés d’appliquer la réglementation des passeports et des cartes d’identité. La police, la gendarmerie ou les services de renseignement pourront également avoir accès au fichier, tout comme Interpol ou le système d’information Schengen. Donc de nombreux services de l’État pourront avoir accès à ce gigantesque fichier.

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, et celui de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, ont, mercredi 2 novembre, volé au secours de cette initiative présentée comme un garant contre l’usurpation d’identité.

Cette base de données, qui fusionne les informations des cartes d’identité et passeports, vise à lutter contre l’usurpation d’identité et la fraude. Mais la combinaison, dans un seul fichier, de données biométriques de 60 millions de Français a provoqué de vives critiques.

Pour les détracteurs de cette base de données, le TES constitue un énième renoncement de la gauche. Ce fichier ne serait que le décalque de celui voulu par Nicolas Sarkozy en 2012, qui avait suscité l’opposition farouche du Parti socialiste. “Les deux sont effectivement relativement proches, dans la mesure où celui présenté par Nicolas Sarkozy, surnommé ‘fichier des honnêtes gens’ prévoyait aussi de regrouper l’ensemble des données personnelles liées au passeport et à la carte d’identité, y compris l’image numérique ou les empreintes digitales”, rappelle Antoine Cheron, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies du cabinet ACBM, contacté par France 24.

Jean-Marc Ayrault, un des signataires du décret, était pourtant un des opposants au "super fichier" voulu par la droite, alors au pouvoir en 2011, rappelle Next INpact. Le ministre des Affaires étrangères avait même saisi le Conseil constitutionnel avec d’autres députés et sénateurs socialistes pour faire censurer une partie du projet de loi en mars 2012. Quatre ans plus tard, la majorité socialiste a ainsi réalisé ce que la droite appelait de ses vœux.

L'une des attaques les plus virulentes à l’époque était de Jean-Jacques Urvoas, aujourd’hui chargé de promouvoir l’héritier de ce “fichier des honnêtes gens”. Dans un billet de blog, le député, dénonçait la naissance d’un fichier qui "va concerner la totalité de la population ! Aucune autre démocratie n’a osé franchir ce pas". "qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ?" ajoutait-il. Selon lui "aucun système informatique n’est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n’est toujours qu’une question de temps".

La Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) s'inquiète de la possible identification des personnes et affirme qu'un tel fichier impose "la plus grande prudence".

"On peut craindre qu'un futur gouvernement modifie les finalités, explique à l'Agence France Presse Gaëtan Gorce, sénateur PS et membre de la Cnil avant de comparer le TES à "une sorte de monstre". Le gendarme des libertés individuelles préconise plutôt "l'introduction du composant électronique sécurisé dans la carte nationale d'identité. […] Elle permettrait de conserver les données biométriques sur un support individuel exclusivement détenu par la personne concernée, qui conserverait donc la maîtrise de ses données, réduisant les risques d'une utilisation à son insu".

Contacté par Le Figaro, Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, estime qu'un fichier de ce type n'est "absolument pas nécessaire" et regrette que "le gouvernement n'ait pas pris en compte la délibération de la Cnil". "Un fichier de 60 millions de personnes est susceptible d'être piraté", ajoute-t-il tout en déplorant un projet visant à la "surveillance de masse".

En 2012, le texte permettait aux forces de police d’exploiter les données dans certaines affaires, notamment liées au terrorisme. De quoi faire de 60 millions de Français des suspects potentiels. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui a poussé le Conseil constitutionnel à censurer le fichier proposé par Nicolas Sarkozy en raison “du manque de garantie contre le risque d’arbitraire”.

Avec le TES, le gouvernement n'a pas l'air très sûr de son coup : il a choisi le week-end de la Toussaint pour agir et a préféré opter pour un décret plutôt qu’un projet de loi. “On pourrait penser que le gouvernement cherche à contourner le Conseil constitutionnel en adoptant un décret, car le seul moyen de le contester est de saisir le Conseil d’État”, précise Antoine Chéron à France 24.

Antoine Chéron rappelle que les données sont susceptibles de franchir les frontières car “Interpol et les pays membres de l'espace Schengen pourront également avoir accès à ces fichiers afin de lutter contre l'usurpation d'identité”. Conséquence : une multiplication des occasions, pour les éventuels cybercriminels, d’intercepter ce qui constitue l’une des plus vastes bases de données d’informations personnelles sensibles jamais constituées.

TES : 60 millions de Français désormais fichés dans une même base de données

Rédigé par Pierre HAMMADI

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