Oui, vous allez mourir... comme tout le monde : l’enregistrement glaçant de l’appel de Naomi

Publié le 9 Mai 2018

Le 29 décembre dernier, Naomi Musenga avait 22 ans, maman d'une petite fille était seule dans son appartement de Strasbourg dans le Bas-Rhin. Elle est prise de violentes douleurs et appelle le Samu. Une opératrice transmet son appel vers une autre. "Elle a appelé la police. Elle me dit qu'elle va mourir", lance la première à la seconde en riant. Réponse : "Ah elle a la grippe ? Ah bon." L'hôtesse téléphonique du SAMU prend finalement l'appel. La conversation, atterrante, a été enregistrée. D'une voix très faible, la jeune femme appelle à l'aide et reçoit un accueil d'une violence inouïe :

- "Oui, allô !
- Allô... Aidez-moi, madame...
- Oui, qu'est-ce qu'il se passe?
- Aidez-moi...
- Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche hein…
- Madame, j’ai très mal...
- Oui ben, vous appelez un médecin, hein, d'accord ? Voilà, vous appelez SOS médecins.
- Je peux pas.
- Vous pouvez pas ? Ah non, vous pouvez appeler les pompiers, mais vous ne pouvez pas...
- Je vais mourir.
- Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde, ok

- Vous appelez SOS Médecin, c'est le 03.88.75.75.75, d'accord ? Vous avez compris? Aidez-moi madame - Je peux pas vous aidez, je sais pas ce que vous avez...J'ai très mal au ventre...

La suite de l'échange, est de la même teneur. La jeune femme supplie qu'on lui vienne en aide et son interlocutrice répète le numéro du service de médecins en ville.

La jeune femme parvient à joindre SOS Médecins. Naomi arrive au CHU de Strasbourg plus de cinq heures après son premier appel. Quelques minutes plus tard, elle perdra la vie. Il faut attendre plus de quatre mois et la pression de la famille pour que la direction de l'hôpital se décide enfin à une enquête administrative interne. 

Comme le droit l'y autorise, la famille de la jeune femme demande au SAMU une copie de l'appel passé quelques heures avant sa mort. Elle choisit ensuite de confier le document à Heb'di, un journal local qui le publie dans son intégralité, fin avril.

La Direction générale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) reconnaît que l'enregistrement est authentique. Dans un communiqué, les HUS "présentent leurs sincères condoléances" aux proches de la patiente et affirment vouloir "faire toute la lumière sur les faits relatés dans l'article" d'Heb'di. 

Agnès Buzyn annonce avoir saisi l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin de faire la lumière sur les dysfonctionnements qui ont précédé le décès de Naomi Musenga.

Le parquet de Strasbourg a ouvert, mercredi 9 mai, une enquête préliminaire du chef de "non-assistance à personne en péril". La sœur de la jeune femme de 22 ans, morte le 29 décembre 2017 après ne pas avoir été prise au sérieux par le Samu, a écrit au procureur pour déposer plainte.

Dans sa lettre, Louange Musenga "met en cause les services du SAMU et les personnes ayant pris en charge les appels de Naomi Musenga le jour de son décès, estimant par ailleurs que les causes du décès demeurent floues, nonobstant les premiers résultats de l'autopsie médicale réalisée le 3 janvier 2018", précise le parquet dans son communiqué. L'enquête a été confiée à la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) Grand Est.

Cette enquête judiciaire s'ajoute à celle diligentée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). L'opératrice du Samu, qui avait raillé la jeune femme au téléphone, a été suspendue "à titre conservatoire" par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Une autopsie a été pratiquée cinq jours plus tard. Naomi Musenga est morte des suites d'une "défaillance multiviscérale sur choc hémorragique", selon le rapport consulté par Le Monde, qui précise qu'il s'agit de "l'arrêt de plusieurs organes", dont la cause peut résulter de "facteurs variés". 

Rédigé par Pierre HAMMADI

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